Extraits du bulletin APVV N° 10 de 2010....

Les ducs de La Rochefoucauld: Premiers et derniers seigneurs d'Estissac
(par Jacques Cousin)


Puis en 1736, arrive une famille qui donna deux grands seigneurs au village, mais ils furent les derniers. Les de LA ROCHEFOUCAULD eurent un grand rôle et de hautes fonctions dans le royaume.

Quand, en 1037, un certain sieur Foucauld devenait seigneur de La Roche, la famille était née. La branche qui nous intéresse est en ligne directe de François 1er de la Rochefoucauld (1450-1517) parrain à COGNAC en 1494 de François de Valois-Angoulême, devenu en 1515 François 1er roi de France.


Le chateau de La Rochefoucauld en Charente berceau de la famille

Dans cette descendance, le personnage le plus connu est bien entendu François VI, l'auteur des maximes, décédé en 1680. Ce François VI mérite que l'on s'y arrête quelque peu. Si sa renommée est issue de ses maximes, mémoires, poésies, lettres et autres réflexions diverses, le personnage ne manque pas d'intérêt ni de curiosité. Le 4 octobre 1613, trois semaines après sa naissance, Antoine de LA ROCHEFOUCAULD, évêque d'Angoulème, lui administre le baptême avec pour parrain François, cardinal de LA ROCHEFOUCAULD, évêque de Senlis et marraine Antoinette de Pons, marquise de GUERCHEVILLE, grand-mère de l'enfant. Ses premières armes, il les effectue en Italie en 1629, étant maître de camp d'un régiment qui portait son nom. Il est exilé de la cour pour des imprudences de langage de 1635 à 1637. Son projet romanesque d'enlever la Reine qu'il juge menacée, échoue.

Ensuite son attitude indispose Richelieu qui l'emprisonne huit jours à la Bastille avant d'être à nouveau exilé deux ans chez son père au château de Verneuil. Après de nombreux épisodes plus épiques les uns que les autres, il est nommé gouverneur du Poitou le 3 novembre 1646; il se lie avec la duchesse de Longueville, il soutient la cause de Mazarin avant d'abandonner le Cardinal pour rejoindre Condé et le camp des frondeurs. Durant le blocus de Paris, il tente de faire entrer dans la ville un convoi de ravitaillement mais il est grièvement blessé dans un engagement.

Il échappe de peu à la grande arrestation du Palais Royal le 18 janvier 1650 et se réfugie quelques temps à Dieppe avant d'organiser activement la défense de la ville de Bordeaux. Il est obligé de démissionner du gouvernement du Poitou et le 4 octobre de cette même année 1650, il va demander pardon au Roi. Il y alla dans le carrosse de Mazarin à qui il dit « Et oui, tout arrive en France ». Il intervient et réussit à faire libérer les Princes tout en retrouvant son gouvernement du Poitou, mais pas pour longtemps car la deuxième fronde éclate le 22 juillet 1651 et de LA ROCHEFOUCAULD y prendra une part très active contre le Cardinal de Retz.

Les faits d'armes sont nombreux, avec à la clé, une grave blessure. Ensuite il reste calme et paisible durant quatre années. Il rentre en faveur en 1659 et se lie à Madame de La Fayette, il a 42 ans, elle 25. Son fils, François VIl, devient prince de Marcillac alors qu'il publie la première édition de ses Mémoires. Il reprend les armes aux côtés du Roi en 1667 et dès 1669 il écrit et publie Poèmes et Maximes tout en « collaborant» aux Ecrits de Madame de La Fayette et en « inspirant» Jean de La Fontaine. Le 15 mars 1680, il reçoit l'extrême onction des mains de Bossuet et décède le lendemain.

Tableau généalogique de l'auteur des Maximes
ainsi que les armoiries de la famille



François Armand Frédéric de La Rochefoucauld
1er duc d'Estissac

(anonyme, collection famille de La Rochefoucauld)


Alors revenons à notre seigneurie de Saint Liébault tout en restant avec la famille de LA ROCHEFOUCAULD. Grâce à Marie Henriette d'ALLONGNY de ROCHEFORT, plus connue sous le nom de comtesse de BLANZAC et qui épouse Charles de ROYE de LA ROCHEFOUCAULD, la seigneurie de Saint Liébault devient propriété, en 1736, de Louis François Armand de LA ROCHEFOUCAULD. C'est ce seigneur qui, par lettres patentes de Louis XV en août 1758, a obtenu l'érection de la baronnie de Villemaur-Saint Liébault en duché pairie héréditaire sous le nom de duché d'Estissac. Ce nom Estissac était celui d'une seigneurie que la famille de LA ROCHEFOUCAULD possédait en Angoumois appelé Périgord noir. C'est Claude d'Estissac, qui, en épousant François IV, comte de La Rochefoucauld et qu'elle convertit au catholicisme, exigea que le nom d'ESTISSAC continue à être porté dans la famille. De par ces lettres patentes, donc, Louis François Armand de LA ROCHEFOUCAULD devenait à la fois le dernier seigneur de Saint Liébault et le premier d'Estissac.

C'était un haut et puissant seigneur. Sa carte de visite, comme on dirait aujourd'hui, était impressionnante : chevalier des Ordres du Roi, brigadier de l'armée Royale, grand-maître de la Garde Robe, seigneur de Thuisy, Chennegy et autres lieux et premier baron de Champagne en sa qualité de duc héréditaire du duché d'Estissac. Cette liste de titres et qualités est énumérée par Albert Babeau dans un article intitulé «le château d'Estissac en 1793 ». En épousant sa cousine Marie de LA ROCHEFOUCAULD, issue de la branche directe de François VI évoqué précédemment, Louis François Armand réunit cette grande famille et eut deux fils dont François Alexandre Frédéric qui lui succéda comme duc d'Estissac. Ce dernier seigneur d'Estissac, duc de Liancourt, prit la succession de son père en 1783.

Le chateau d'Estissac, construit au début du XVIIème siècle par Jacques II Vignier


A 17 ans il épouse Félécité Sophie de Lannion- qui avait 19 ans- et eut trois garçons. C'était un des plus illustres personnages du Royaume et faisait bien entendu partie des nobles du bailliage de Troyes. Il était encore seigneur d'Estissac quand, en 1789, il fut nommé membre de l'assemblée nationale constituante et en fut d'ailleurs un des présidents. Le dictionnaire encyclopédique d'Histoire des frères Garnier nous en dit plus sur ce grand Français né en 1747 et qui, depuis 1768, a été grand maître de la Garde Robe. « Il s'éloigna de Versailles pour mettre en pratique les améliorations agricoles et industrielles qu'il avait étudiées au cours de ses voyages en Angleterre tout en fondant, à Liancourt,une école d'arts et métiers »

Député aux Etats Généraux, il eut le mérite de défendre à la fois la royauté et les libertés publiques. Il sut maintenir l'ordre en Normandie en qualité de lieutenant général du commandement de cette province. Il aura été dévoué au roi jusqu'au 10 août avant d'être forcé de fuir en Angleterre alors que son épouse s'exilait en Suisse. Il proposa à Louis XVI de se réfugier en Normandie sans succès. Si François VI de La ROCHEFOUCAULD est célèbre pour ses maximes, le Duc d'Estissac l'est devenu pour sa réponse à Louis XVI lorsque le roi s'est étonné du bruit du peuple venant chercher la famille royale à Versailles pour la ramener aux Tuileries: C'est une révolte? s'exclama le roi. « Non Sire, c'est une révolution » lui répondit François Alexandre Frédéric de LA ROCHEFOUCAULD. Le duc d'Estissac demanda, en vain, à témoigner en faveur du roi et passa ensuite aux Etats-Unis. Rentré en France en 1799, il révolutionna l'agriculture en appliquant «ses» techniques d'assolement; il ouvrit une souscription pour l'établissement d'un dispensaire, en étant le propagateur de la vaccine. Membre de la Chambre des Pairs en 1814, il fait partie de la Chambre des représentants pendant les Cent jours. Son importance locale et nationale est toujours aussi influente .

Il se dévoua ensuite plus que jamais à la bienfaisance. Sous la Restauration, il est membre du Conseil général des hôpitaux, président de la Société morale chrétienne, inspecteur général de l'Ecole des Arts et Métiers. S'il a posé la première pierre d'un hôpital-hospice à Troyes en tant que mécène, il reste le fondateur de la première Caisse d'Epargne. Notre duc de LA ROCHEFOUCAULD est décédé à Paris et ses obsèques eurent lieu le 30 mars 1827. La lettre d'invitation était signée de la duchesse, de ses trois fils: François Armand, duc d'Estissac, du comte Alexandre François et du marquis Frédéric Gaétant ainsi que de ses douze petits enfants. Les funérailles furent troublées par des violences maladroites du gouvernement, irrité par les démonstrations populaires en faveur d'un opposant. Dans son dictionnaire encyclopédique, Maurice Lechâtre parle du duc d'Estissac: «c'était un des hommes les plus bienfaisants de son époque » et Fernand Dreyfus, dans un ouvrage sur les LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT titre un chapitre le concernant « un philanthrope d'autrefois». C'est dire que le dernier seigneur d'Estissac était un très grand personnage......

Jacques Cousin


Vous trouverez la suite de cet article dans le N°10 de notre parution "Au Courant de la Vanne"